



ALEGRIA
Sous l'arbre majestueux, un orchestre d'une cinquantaine de musiciens dirigés par un chef d'orchestre très animé irradie le Cour de la Révolution.
A la batterie une vigoureuse femme d'une soixantaine d'années, vieux, jeunes moins jeunes sont à la trompette, à la clarinette, à la contre basse, à la guitare, aux cymbales. Instruments à cordes et percussions se répondent ! Sur la piste des couples de tous âges dansent, concentrés. Une unité se dégage, fascine. Les hommes guident d'une main ferme leur danseuses, elles, suivent allègrement. Rien d'autre n'existe pour elles que le rythme et la danse.
Il a quatre vingt, quatre vingt dix ans, plus ? Ses os flottent dans sa chemise blanche, le pantalon parfaitement repassé. Il danse. D'une main sa canne de vieillard semble s'envoler dans le rythme à trois pieds, de l'autre il guide une dame de son âge légère d'allégresse. Ils pètent la jeunesse.
Envolée de trompette, le chef se retourne vers nous. Tous applaudissons de reconnaissance et de plaisir. Au moment le plus inattendu un autre musicien se lève pour nous régaler de son instrument, tout l'orchestre sourit d'extase. Un accord dans l'instant. Avec soi, avec tous, avec le monde. Le sentiment qui nous réunit est une joie profonde, « comme le 1er sourire du ciel » (Camus dans Noces). Dans la joie il y a la liberté et dans la liberté, il y a oser. Oser naturellement.
Ces moments vécus sont vifs dans un pays où les habitants sont privés de liberté, là où les manques sont de toutes sortes. Dans ces pays là l'imagination est active, oser devient un jeu et le soutien du groupe essentiel, la solidarité indispensable.
Dans les groupes d'art-thérapie, et aussi dans les ateliers individuels, il y a toujours des moments joyeux. Un faisceau de lumière traverse les ténèbres et ouvre des voies souterraines. La joie est un des moteurs du processus de changement. C'est une présence dans l'instant et dans le réel comme l'acte de danser, de chanter, de peindre. Une vibration du corps qui anime le soi et ouvre à la relation. Dans ces ateliers, le mouvement du groupe soutient le mouvement des personnes. Des relations profondes se créent et perdurent parfois en dehors du groupe irriguées par des courants joyeux.
Le poète haïtien Depestre dit :
"Ma joie qui chante l'espoir brûlant
Les yeux qui n'ont plus faim
Les cours qui n'ont plus honte
Les mains (...) qui font naître l'aurore
L'amitié qui se déplie au soleil
Comme une feuille de bananier
L'amour qui brille d'un feu païen
Et très pur comme des yeux d'un enfant "
(Journal d'un animal marin, 1964)
Alegria !
Yamina NOURI