


BLEU MARINE
Les art-thérapeutes et les accompagnants en art transformationnel apprennent à décrypter ce qui se montre sous les apparences. C’est ainsi qu’ils ont eu à se questionner durant leur apprentissage sur les significations symboliques des couleurs. Il peut être intéressant d’y ajouter une réflexion sur la place qu’elles tiennent dans nos sociétés, et de ce point de vue nous pouvons considérer l’évolution du bleu en occident.
Il est bon de rappeler le débat sur ce sujet qui, au cours des siècles, a traversé l’église catholique française. Les théologiens, s’ils pensent que la couleur est de la matière, l’estiment méprisable, ainsi des Cisterciens ; mais à partir de Suger, abbé de Saint-Denis, la couleur est considérée par certains comme de la lumière, ouvrant de ce fait une visibilité de l’ineffable, émanation divine selon leurs croyances. Cela va donner le bleu des vitraux de Chartres, puis celui de la Sainte-Chapelle. A partir du XIIème siècle le bleu devient « mode », lancée par Saint-Louis qui s’en pare.
Toutefois fabriquer une couleur coûte plus ou moins cher. Peu cher à partir des végétaux, mais sans brillance et passant vite, hors de prix à partir des pierres, mais d’une grande qualité. De ce fait il y a un bleu des riches et un bleu des pauvres. La couleur devient signe de classe sociale. Nous voyons que sa valorisation est tributaire de raisons économiques, religieuses et idéologiques. Ainsi Philippe de Champaigne, favori de Richelieu, présente une palette colorée et diversifiée, qui s’assombrira lorsqu’il se rapproche de Port-Royal.
En bon couple des contraires le bleu a également été le rival du rouge. A l’un la morale, le spirituel, le féminin et l’infini, à l’autre les festivités, le matériel, le masculin et le fini. Le bleu va être associé aux lumières, aux progrès, aux rêves et à la liberté. Il deviendra ainsi l’emblème du mouvement romantique, de la révolution américaine, puis française.
Nous comprenons qu’il est important pour les politiques de s’approprier cette couleur : ainsi notre équipe sportive nationale, ainsi les Casques Bleus, les uniformes des corps constitués, le bleu de travail et le jean. Le bleu ne fait pas de vagues, il sécurise, montre l’horizon, passage du terre à terre au spirituel, de la révolte à la soumission.
Or, certainement sous prétexte d’objectivité scientifique et de cartésianisme, les politiques ont abandonné tout symbolisme, ou bien continuent à utiliser des symboles qui ont eu sens mais qui ont oublié de coller au réel. Voyez le ridicule des hommes qui se disent de gauche, chantant faux l’Internationale, le poing mollement levé. En revanche le Front National joue sur l’utilisation des symboles et sur leur récupération. C’est chose faite, Marine est une femme, plutôt teinte en blonde, les yeux bleus… Le symbole s’est incarné, et progressivement Maine-Front-National, ayant investi le bleu symbolique, c’est ce bleu qui travaille les inconscients, banalisant le FN, devenu très respectable puisque porteur des valeurs prêtées au bleu. Dès lors ce Parti peut surfer en toute impunité sur la moralité, le repli national, la fermeture et l’expulsion des étrangers.
Le Bleu-Marine signe ainsi une pathologie de la société et des hommes qui la composent, celle où l’Etre-ouvert-sur-le-monde est interdit de séjour, et où l’imagination, créatrice de mondes nouveaux, est reconduite aux frontières, accusée d’ouvrir sur l’aventure, donc porteuse du risque de ce qui est inconnu, de l’étranger.
Avec le bleu, qui ne voit pas que c’est notre liberté qui est en jeu. Celle qui choisit de se replier, dans un déni de la réalité symbolique et dans une relativisation peureuse des faits ; ou bien celle de réagir en se convoquant soi-même et nos alter-égos, pour s’exposer à vivre en tant qu’Etres-libres, ouverts à l’aventure du Dasein, jetés en plein-vents.
Henri Saigre