


CHERCHER LE MORT
De temps à autre un avion s’abîme en mer. Grande est alors, on le comprend, l’émotion des proches. Aux questions des journalistes nombreux sont ceux qui répondent que ce qui leur est le plus intolérable c’est de ne pas savoir où ceux qu’ils aiment sont engloutis, que le corps ne leur soit pas restitué. La plainte est récurrente : comment allons-nous pouvoir faire notre deuil sans les avoir retrouvés ? Comme s’il nous était nécessaire de voir ou toucher physiquement le corps aimé, que notre raison sait cependant irrémédiablement perdu. Serait-ce pour couper court à ce déni qui, tant que nous ne sommes pas en présence du cadavre, nous laisse follement espérer qu’il vive encore ? Qu’est-ce qui demeure intolérable, sinon l’espoir vain.
Parler du mort, n’est-ce pas continuer à le faire exister en esprit ? Ce peut être aussi commémorer son histoire. Mais pourquoi faut-il que parler de la mort passe par la mort des autres ? Pour la bonne raison que nous sommes vivants, auraient dit Heidegger ou Monsieur de Lapalisse. Est-ce si sûr ? Le Je suis été existentiel sous-entend que je suis toujours en instance d’être, semblable à ce soleil qui se lève chaque jour nouveau. Tout instant infidèle à cette manière de Présence au monde ne me plonge-t-il pas alors dans une sorte d’Absence au monde, me transformant en une sorte de mort-vivant ? En quels fonds insondables alors gisons-nous ? En quels abîmes notre Etre s’est-il alors abimé ? Une bonne partie de notre quotidienneté ne parle cependant que de cela, sans pour autant que nous percevions le besoin de nous propulser dans une volonté de deuil de nous-mêmes.
Notre humanité ne saurait-elle ap-paraître que lorsqu’il y a perte des autres, tandis que, sous-jacente, s’avance voilée la question de notre propre déchéance ?
Henri Saigre