


CONNAISSEZ-VOUS GRADIVA ?
Connaissez vous « Gradiva » la nouvelle de Wilhem Jensen publiée en 1903 ?
En quelques mots, Norbert Hanold, un jeune archéologue y tombe amoureux d’une jeune fille représentée sur un antique bas-relief. « Il tisse autour d’elle ses fantaisies, il lui imagine un nom (Gradiva) et une origine, il transpose cet être qu’il a créé dans la ville de Pompéi ensevelie voici plus de 1800 ans.» (Freud, Délires et rêves dans la Gradivade Jensen(1907)). Norbert Hanold prête ensuite vie à la représentation et tisse un faisceau de rencontres et de dialogues avec Gradiva (littéralement : celle qui avance). Nous découvrirons tardivement que Gradiva figure une amie d’enfance pour laquelle Norbert éprouve un sentiment amoureux.
Dans le cadre universitaire où j’ai découvert ce texte, le centrage se faisait sur l’analyse qu’en avait faite Freud (cf texte précité), visant une étude scientifique de la représentation poétique. L’apport didactique de ce texte était incontestable, faisant la part belle au fonctionnement de l’Inconscient dont nous pouvons au passage déplorer qu’il soit aujourd’hui, dans tous domaines si peu pris en compte.
Toutefois, je me souviens de ma réticence de l’époque à entrer dans le jeu de démystification de la création littéraire, de la contrainte que représentait pour moi l’analyse pointilleuse du fonctionnement psychique de Norbert devenu « cas clinique », court-circuitant le plaisir de la rêverie romanesque. Il me semblait qu’esthétique et raison s’excluaient et que le fait d’interprétation était réducteur.
Je conserve ce point de vue, néanmoins s’il est essentiel que l’Art-thérapeute privilégie sa part sensible, intuitive et émotive pour faire place aux créations du sujet et permettre à celui-ci de transcender les limites de ses aliénations, il n’en demeure pas moins qu’il doit aussi être en mesure de penser la situation et le monde de l’autre pour en soutenir l’évolution. Résonner et raisonner ne s’opposent pas mais s’articulent. Pour ce faire, un travail personnel approfondi s’impose afin de ne pas être entravé par sa propre problématique et d être en mesure de repérer ses éprouvés contre-transférentiels mais il est encore nécessaire d’avoir un corpus théorique solide concernant le fonctionnement psychique et ses ratées.
Ensuite, pour tenter d’ entrer dans le monde de l’autre, tout ce savoir devra être occulté, mis en suspens car il ne peut que cacher, voire nier le sujet et son œuvre dans leur singularité, leur nouveauté et atteindre la capacité d’émerveillement de l’art-thérapeute.
Ce positionnement ressemble en tous points à celui nécessaire au travail clinique, du moins celui des cliniciens qui situent l’intersubjectivité comme lieu de l’analyse et entendent toute manifestation de l’autre comme parole à décrypter (et non pas à interpréter) et ceci afin de favoriser la rencontre, le partage et de ce fait une plus grande création de sujet ! L’objet créé en art-thérapie est manifestation d’être, en tant que telle, il appelle soutien, encouragement ou simplement compréhension. Et encore, lorsque l’art-thérapeute fait une proposition, une suggestion à la personne, n’est-il pas en train de tisser un accordage où le parent introduit sans arrêt des modifications dans le jeu des imitations avec pour effet d’élargir le champ des possibles ?
Alors Freud, s’il s’était situé art-thérapeute, qu’aurait-il pu dire à Norbert Hanold ? à Wilhem Jensen ?
Je laisse à chacun le soin d’imaginer ce développement…
Joëlle CORNELISSE-SAIGRE