


DE LA HAINE A LA VIOLENCE EDUCATIVE ORDINAIRE
Vendredi 10 juin me voilà débarquée à Auxerre pour assister au colloque sur les parentalités vulnérables organisé par le RSMY. Je suis impatiente d’entendre le premier intervenant Albert Ciccone. Quelle ne fût pas ma surprise de découvrir un « Gaulois », ce n’était pas du tout l’image que je m’étais faite de ce professeur en psychologie. Cette première surprise passée je bois ces paroles. Albert Ciccone nous parle de l’accès à la parentalité comme d’un « traumatisme ordinaire » et des « missions narcissiques » du bébé.
En effet le bébé arrive avec un contrat : assurer la continuité des générations en échange de quoi il sera reconnu par sa famille qui assurera sa narcissisation. Il assure l’immortalité narcissique de ses parents et devra accomplir tous leurs rêves inaboutis. Il devra alors réparer l’histoire parentale et devra faire vivre au parent l’expérience d’être de bons parents.
La salle rit lorsque A. Ciccone nous dit que nous faisons des enfants pour nous réparer narcissiquement, si cela n’a pas suffit alors nous devenons thérapeute …
Différentes difficultés du devenir parents ont été abordées par A. Ciccone comme la rencontre avec le handicap, la rupture dans la transmission, dans la filiation, les répétitions d’histoires, les rivalités et transgressions œdipiennes. Le colloque peut être écouté sur le site du RSMY, je souhaite donc partager ce qui m’a marqué dans cette conférence :
Suite aux propos de notre intervenant je comprends mieux certains mécanismes du devenir parent et les attentes de ceux-ci :
Si nous faisons des enfants pour nous réparer narcissiquement, alors plus nous avons été blessé plus nous aurons d’idéaux : Un enfant idéal qui nous rendra parent idéal.
Plus nous avons d’attentes de réparations et de gratifications moins le bébé pourra répondre, il sera alors vécu comme décevant voire tyrannique et persécuteur. Le moindre signe de manque du bébé sera vécu comme une persécution par le parent qui éprouvera du désespoir face à la détresse infantile, mais pas celle du bébé, de la sienne. Les parents sont en difficultés quand ils répondent plus à leurs besoins qu’à celui de l’enfant.
Ainsi plus un parent a manqué plus il développera un idéal et plus il se mettra en échec.
La haine, présente dans le lien parent/enfant, provient de la déception narcissique. Plus une mère voit dans le regard de son bébé son mauvais parent plus c’est difficile pour elle. Ainsi quand un parent répète la maltraitance subie, ce n’est pas seulement la reproduction de la maltraitance subie, mais parce que le bébé est vécu comme persécuteur. C’est l’imago du parent maltraitant qui est projeté sur l’enfant. Un enfant qui se débat avec un tel héritage pourra développer un symptôme qui « attractera » l’imago parentale.
L’ambivalence amour/haine des parents ressurgit souvent à l’occasion de jeux de morsures, de comptines, mais aussi dans les surnoms donnés aux enfants ou dans la violence éducative comme à l’occasion du nourrissage ou de l’endormissement.
Ces « pratiques éducatives sadiques » servent à « éponger la haine » nous dit A. Ciccone. Il reprend Winnicott qui disait que la mère peut être aidée à l’expression de sa haine par des jeux et comptines, le bébé a besoin de cette expression mais pas de sentimentalité. Il est important de « lier » la haine.
A. Ciccone nous questionne sur la notion d’autorité. Le « NON » prononcé par les parents à l’égard de l’enfant est-il POUR l’enfant ou POUR le narcissisme des parents ? Il y a aussi des inversions générationnelles, par exemple lorsqu’un parent dit « Ne me met pas en colère ! », l’enfant doit protéger le parent d’une réaction infantile.
Ces points ont particulièrement retenus mon attention et sont très intéressants dans le questionnement sur la violence éducative ordinaire :
Nous ne pouvons nier la haine et la violence présentes dans les relations parents/enfants. Si celles-ci s’expriment de façon détournée, dans les méthodes et principes éducatifs, ceux-ci perdent le sens. Même les méthodes d’éducation non-violente, de communication non violente, utilisées sans conscience ne sont que manipulations et donc violence psychique.
J’ai pu observer dans un groupe de psychodrame les nombreux jeux portants sur la violence éducative vécue par les patients en tant qu’enfant et parfois sur leur propre enfant. L’expression de cette violence et haine a particulièrement été jouée un jour où le groupe a été exclusivement composé de femmes. Cette violence a pu être livrée comme un secret entre femmes. Chacune pouvait avouer et dépasser cette haine. J’ai également noté avec quel entrain le rôle de « mauvaise » mère peut être alors endossé.
Il n’est donc pas question de dénoncer la violence mais de la reconnaître pour pouvoir la transformer. L’art-thérapie, dans le sens d’art transformationnel, peut permettre aux parents l’expression de leurs sentiments et de l’ambivalence amour/haine. Différents médias semblent être adaptés pour permettre de les accepter, les mettre à distance, ou de les projeter sur une œuvre. Par la symbolisation la haine sera « liée ».
En octobre se déroulera le colloque de la FF2P :ATTACHEMENT,EMPATHIE ET VIOLENCE ÉDUCATIVE, qui pour la deuxième année abordera ce thème enfin d’actualité.
Jehanne VION