


Face à une réalité intérieure...
La peinture se ressent, la peinture se vit, la peinture se projette et nous renvoie à l'image projetée. Telle un miroir, elle nous donne à voir notre propre reflet.
Portons notre regard sur ces personnes en mal de vivre qui peuplent les cabinets de psychothérapies. Tendons notre oreille vers ces souffrances qui ne se disent qu'à demi souffle. Portons notre attention sur la perception déformée qu'elles ont d'elles mêmes et sur cette nécessité impérieuse qu'elles ont de dénouer cette distorsion...
"J'ai de la valeur uniquement par rapport à ce que je suis capable de faire" me dit un jour en séance une quadragénaire en quête de confiance. Elle ne croit pas en elle. Elle n'est capable de rien toute seule... croit-elle.
A l'atelier, je pose là une grande feuille, des pinceaux, palettes et chiffons, les peintures. Les yeux bandés elle fouille dans la caisse en plastique et en extirpe trois tubes. Elle ne prête aucune attention particulière aux pinceaux. C'est du bout des doigts qu'elle va directement caresser le papier, se laissant ainsi porter par la texture, guider par la matière et les différentes odeurs que l'acrylique libère.
Elle mélange ainsi, à l'aveugle, du magenta avec beaucoup de blanc. Elle pose quelques touches de brun très largement éclairci par la quantité de blanc qu'elle utilise. Son tableau prend forme, sous ses doigts attentifs à la sensation et sous mon regard, qu'elle dit recevoir comme bienveillant.
De ce rose clair parsemé de beige qu'elle construit et qu'elle compose, elle dira:
"J'ai l'impression que c'est du bleu foncé. J'aime pas le bleu. J'aime le parme, le violet, le rose, le beige... J'espère que ce n'est pas trop foncé. J'aimerais que ce soit "beau" mais je pense que c'est foncé, triste..." Entendons, à la lumière de son histoire déjà déposée sur le divan: "Je ne suis pas capable de faire du beau. Ce n'est pas à ma portée."
Sa surprise est de taille lorsque je la libère du noir dans lequel elle était plongée. "Mon dieu que c'est beau..." Emue elle ajoute: "J'aime ce que j'ai fait..."
Ce cas, loin d'être un cas isolé, me pousse à me questionner sur le ou les effets de cette image miroir. Que permettent les yeux bandés? Comment nos autres sens se développent-ils alors ? Avec quoi nous mettent-ils en lien? A quoi nous renvoie cette peinture intuitive ? "Je me trouve face à une réalité intérieure." m'a-t-on dit un jour. J'ai pu remarquer que dans la plus grande majorité des cas, les personnes choisissent les couleurs qu'elle aiment ou les couleurs qui leur parlent de ce qu'elles ont à contacter.
Ainsi, une jeune maman, effrayée par la croyance d'une violence intérieure destructrice, s'appliquant à étouffer sa colère, étala du rouge de façon concentrique puis laissa ses mains exploser cette masse centrale. Toujours les yeux bandés, elle tentera de l'estomper au blanc. Elle dira aimer le vert et le rouge et nommera ce dernier comme étant associé à la colère. Mais elle perçoit sa peinture très sombre. "On ne pourra rien voir de cette peinture..." Lorsqu'elle enlève le bandeau, elle a dans la voix cette émotion et qui en dit long... "C'est ma colère qui me pète au visage..."
Que le voyage à travers la peinture intuitive soit beau et léger ou qu'il soit lourd et douloureux, tous sont repartis avec leur création en nommant à leur façon que cette image posée là allait les suivre encore un temps sur leur chemin de vie, qu'un message de leur inconscient leur était parvenu. Tous ont eu cette surprise de voir émerger là une réalité enfouie.
Anne Laure LETONDOZ