


L'ART ET LA BANNIERE
De début juillet jusqu'à fin septembre se déroule dans la commune de Prayssac, située dans le Lot, une expositionqui se tient dans les rues. Elle rassemble ainsi chaque été plus d'une trentaine de bannières présentant chacune une toile d'artiste.
Cette année le thème est la bohème.
Il est demandé aux participants de parler de leur démarche.
Ce thème m'a amené à peindre une adaptation personnelle du « MAT », carte qui symbolise notre Mouvement.
Cette vision, où se réfléchissent parfois les écrits ou paroles de ceux qui ont traités précédemment le sujet, et où j'y réponds avec ma propre compréhension du Monde, je la partage avec vous dans cette nouvelle lettre du MAT, et je vous invite à vous promener, aux moments estivaux qui ne sauront tarder, sous les bannières accrochées aux tournants de chaque rue au cœur de ce village quercinois :Prayssac.
La bohème
Marche, trajet, voyage, ...
voilà ce qu'en prime abord m'inspire la bohème.
Alors au premier plan ce sont des pieds,
des pieds ou des chaussures usées,
la poussière foulée,
un chemin,
un rayon de lune reflété sur une flaque,
sous les étoiles,
une silhouette assise au bord de route
Tout un univers, des images incrustées éclats du poème de Rimbaud.
L'insaisissable, le non contrôlable, le subversif :
le troubadour,
voici l'incarnation de la bohème,
inféodable et impertinent.
Mais alors mon voyage a pris pour point de chute
le Moyenne Age,
avec ces lieux de rassemblement du troubadour,
et ces lieux sacrés d'où est né le théâtre,
les abbayes.
Bandes dessinées colorées aux ouvertures des murs obscures,
illuminant de scènes bibliques la surface du sol,
flamboient comme un manège au creux de mon esprit.
Je voulais saisir dans mon travail cette luminescence.
Fulgurance du vitrail
Comment traiter le vitrail?
En saisir la luminosité sans rien figer,
malgré ce lien de plomb,
ses limites « cernantes ».
Garder le mouvement du marcheur
ou plutôt le tourment du Monde
sur lequel l'Homme chemine
Voilà au niveau technique
le chant de
ma propre bohème.
Du troubadour, le MAT,
personnage emblématique des cartes du tarot.
L'arcane non numérotée à la fois insoumise et exclue,
s'est imposé comme l'incontestable image de la bohème.
Manipulée entre les mains des bohémiennes qui lisent "l'à-venir",
cette carte est leurs
et pour moi lueur à ad-venir
au bout de mon pinceau.
Le MAT est un troubadour en marche,
un fou de liberté,
le regard tourné vers le ciel, dans l'errance
"Mon unique culotte avait un large trou"
nous dit le poète.
Précarité de l'étranger,
précarité de ce que nous sommes tous sur terre,
Hommes éphémères.
Aveugles?
Celui-ci le semble,
je laisse ce doute, cette incertitude,
D'où vient la lumière?
Il fut un roi
Jean l'Aveugle, roi de Bohème
Aux desseins grandioses.
Aux cross du chien servile, j'ai préféré la morsure du serpent inspirateur,
vivificateur,
"l'agathos daimon".
Ma substitution, plutôt qu'un remplacement,
n'est peut-être qu'un déplacement.
Le serpent n'est-il pas queue de Cerbère?
Les Ménades qui vivent de la libre vie de la nature
dansent pour honorer Dionysos,
et s'enroulent des serpent autour de la taille.
Dionysos, et le serpent sont dotés des mêmes pouvoirs
de divination et de médecine.
Dionysos aussi est un étranger étrange,
né de la cuisse de Jupiter.
Que va donc chercher ce serpent dans cette cuisse?
Dieu fou, dieu sage, indomptable,
Dionysos est l'esprit même de la liberté totale.
Il est lié aux jeux de scène,
par l’excès, la démesure, il amène la Vérité.
L’Âme des poètes en opposition à la dictature de la raison
dévoile ce que la raison en tout temps cherche à cacher.
C'est la dépossession de Soi qui amène l'union avec "théos"
Et donc "l'enthousiasme" poétique
L'esprit de la bohème, l'esprit du MAT
ne sont-ils pas fondamentalement dionysiaques?
Mais dans ma toile,
semble se détacher en rouge comme une autre silhouette.
Sont-il deux?
Le troubadours, nous dit Jean-Pierre Martineau,
est un enfant de cœur,
et cet enfant n'est alors autre que l'Amour,
celui que nous fait chanter Bizet.
"L’Amour est enfant de Bohème, qui n'a jamais, jamais connu de loi".
Bohème donc,
celle aussi des peintres de Montmartre,
loqueteux et immigrés,
vendeurs de toiles pour remplir au jour le jour
des coins de ventres vides.
Génies qui se sont révélés être
les inventeurs de l'Art Moderne.
S'investir alors dans la Bohème,
c'est les yeux rivés vers les étoiles,
s'y reconnaître poussière de saltimbanque,
et espérer décrocher un peu d'agrément
dans la pupille du spectateur.
Rosario ORENES-MOULIN