



L'ETHIQUE DE L'ART-THERAPEUTE ET LA PHENOMENOLOGIE
La notion d'éthique suppose l'idée d'un bien en soi et pas seulement d'un bien pour soi. Appliquée aux soins de la personne, l'éthique invite le praticien à tendre vers une qualité d'être qui soit à la fois conforme à la nature de la méthode qu'il pratique, à sa propre personnalité et à l'objectif réel de la personne qui le consulte : devenir conforme à elle-même, sujet libre et autonome. Il ne s'agit pas d'un idéalisme mais d'une recherche constante d'équilibre entre les trois éléments ci-dessus.
Dans l'art-thérapie en particulier et plus encore dans l'art transformationnel, la pensée éthique s'appuie sur le constat que toute chose se manifeste comme un phénomène. L'art-thérapeute reconnaît la vie en tant que phénomène qui se manifeste essentiellement dans ce cadre par l’œuvre créée, mais aussi par l'expression affective, corporelle et mentale de la personne. Son éthique se sous-tend alors de la phénoménologie[1] parce qu'il s'occupe des phénomènes psychiques manifestés qui ne sont ni mesurables ni objectivables ni abstraits, mais qui se révèlent par leur manifestation subjective éprouvée en soi-même et transférées sur une œuvre. La pensée éthique appliquée à l'art-thérapie se fait là respectueuse du « comment » de l'expérience, à partir de laquelle l'art-thérapeute développe une sorte de perception immatérielle qui lui donne l'intuition de l'essence des choses. C'est à travers sa qualité de présence qui permet la potentialisation de l'être que se révèle le mouvement de créativité transformatrice. L'art-thérapeute accompagne alors l'existence de la personne du dedans, en son être, à l'opposé de l'homme vu objectivement de l’extérieur comme objet d'étude, ce qui serait l'éthique de la médecine et de la psychologie universitaire. De ce point de vue l'approche phénoménologique concerne bien la subjectivité considérée comme le réel du vécu de chacun, le « être là » existentiel[2] que l'art-thérapeute prend spécifiquement en compte. Il ne peut donc pas se soumettre à une pensée abstraite ou objectivante et à la seule logique scientifique sur laquelle se fondent les études universitaires, quand bien même ce complément culturel aiguiserait utilement son intellect. Il accueille alors tout phénomène psychique sans chercher à le faire entrer au forceps dans les cases préconçues des théories scientistes[3] et de la nosographie psychiatrique, ni même des concepts psychanalytiques quand on les prend pour des dogmes, s'émerveillant sans cesse de l'inattendu qui surgit dans la relation. C'est donc bien sur l'accompagnement d'un mouvement de vie manifesté par le phénomène de l’œuvre créée que se fonde l'éthique de l'art transformationnel. Ce mouvement advient quand l'intensité de la présence et la qualité d'être de l'art-thérapeute entrent en résonance avec la partie vivante et créative de la personne qui le consulte, lui permettant ainsi de se révéler et de se développer.
Finalement, tout thérapeute ne s'occupe-t-il pas essentiellement d'accompagner l'angoisse vécue de la personne, mais aussi la sienne propre ? Il s'agit alors de parvenir à la percevoir non plus comme une maladie à éradiquer selon les critères de la médecine, mais plutôt comme la définissait le philosophe Gombrowicz : « L'angoisse, c'est l'angoisse devant moi-même tel que je ne suis pas encore, puisque je dois me choisir. Elle provient de la conscience de la liberté et elle est la structure fondamentale de l'homme. »[4]
Yves Lefebvre
[1]Le terme est précisé dans la philosophie de Husserl, laquelle est préparée par celle de Kierkegaard et continuée par les philosophes existentialistes, en particulier Heidegger.
[2]C'est la notion de Dasein de Heidegger, le fait d'être le « là » dans le monde, l'existence en tant qu'ouverture à l'être, toujours tendue vers sa possibilité d'être suivante.
[3]Le scientisme est une idéologie selon laquelle la science expérimentalea priorité sur les autres approches pour interpréter le monde et voudrait « organiser scientifiquement l'humanité » (Renan) en appliquant ses propres méthodes dans tous les domaines.
[4]Witold Gombrowicz Cours de philosophie en six heures et quart Payot