LA GRANDEUR D'UN BATISSEUR
J’ai été subjuguée, en me promenant dans les rues de Barcelone, de voir la créativité et l'imagination débordante et sans limites de l’architecte catalan Antoni Gaudi. Né en 1852 à Reus, il fut à l’avant-garde d’une nouvelle forme d’architecture: l'art nouveau, ou modernisme catalan. Installé à Barcelone dès 1868, il consacra sa vie à sa passion en réinventant jour après jour un des plus anciens métiers au monde. Ses concepts et ses idées, pour le moins surprenants, ont été largement plébiscités et aujourd’hui encore forcent l’admiration du public et inspirent nombre de créateurs et d'architectes avertis. Toute sa vie durant, Gaudi développa un style personnel basé sur l'observation de la nature et l'utilisation de surfaces géométriques sans angles droits (paraboloïde, hyperboloïde, hélicoïde, conoïde...) conférant ainsi à ses réalisations asymétriques l'ondulation de la vague.
Promenons-nous sur le passeig de Gracia et flânons autour de ses premiers ouvrages. Les fanals de Gaudi sont d'étranges lampadaires en fer forgé, dont les pieds forment de superbes bancs de pierre recouverts de mosaïque. Ils appellent au repos tant par la courbe de leur assise que par la beauté de ce mobilier urbain. Ces véritables chefs d’œuvre sont caractéristiques du travail de Gaudi et s'accordent parfaitement avec la casa Mila, autre construction de l'architecte sur la même avenue.
La casa Mila ou Pedrera est un immeuble entièrement conçu et construit par Antoni Gaudi entre 1906 et 1912. Ce génie s'intéressait autant à la structure de l'édifice qu'à son agencement et à sa décoration. Et parce qu'il avait une conception globale de l'architecture et une connaissance générale des métiers de la charpente, la ferronnerie, la verrerie et la céramique, Gaudi livrait des bâtiments multifonctionnels dans lesquels tout, jusqu'au moindre détail, était élaboré dans un ensemble harmonieux. Ainsi, la casa Mila présente une incroyable façade sculptée renvoyant à la courbe des vagues, des balcons en fer forgé rappelant les feuilles de la nature et les algues de la mer, ainsi qu'une belle terrasse ondulée, sans oublier l'agencement intérieur, fonctionnel et innovant, de l'immeuble.
Nous retrouvons, dans le parc Güell édifié entre 1900 et 1914, les courbes et ondulations si spécifiques à Gaudi ainsi que ses trencadis. Ces mosaïques créées à partir d'éclats de carreaux, de verres de couleurs et d'objets de différents volumes permettent à Gaudi de couvrir des surfaces courbées et irrégulières. L'emblématique fontaine en forme de dragon à l'entrée du parc ainsi que le banc ondulé entourant la cour supérieure en sont couverts. Et si, dans la salle aux multiples colonnes nous levons les yeux au plafond, l'émerveillement nous fait oublier le torticolis à venir tant les mosaïques sont grandioses et lumineuses. Quel créateur!...
L’œuvre magistrale d’Antoni Gaudi reste cependant la Sagrada Familia, toujours en construction à l'heure actuelle. C'est en 1882 que la première pierre est posée, sous la direction de l'architecte Francesc de Paula Villar. En 1883, Gaudi prend en charge l'œuvre récemment commencée et fait sienne la construction de la Sagrada Familia en modifiant totalement le projet initial. Une fois terminée, cette basilique consacrée par le Pape Benoît XVI en 2010, comptera 18 tours dont la plus haute, qui sera dédiée au Christ, s’élèvera à 170 mètres de haut. L’édifice ne devrait pas être terminé avant 2030.
...C’est l’œuvre de sa vie et même plus. Conscient, lorsqu’il reprend le projet, qu’il ne verra pas le chantier achevé - chantier qu'il estime à environ 2 siècles - Antoni Gaudi va s’affairer nuit et jour à dessiner des plans, à construire ébauches et maquettes dans le but de transmettre à ses successeurs l’essence même de sa pensée. Une grande partie des documents disparaîtront malheureusement dans l'incendie de son atelier pendant la guerre civile espagnole.
Mais le mouvement est lancé, la création est en marche... Voilà un bâtisseur atypique, qui surprend avec de nouveaux concepts, qui poursuit un rêve, fort de son imagination et de ses connaissances. Il construit, propose, réfléchit, remet en cause. Il désire transmettre avant de partir et laisser la place à de nouveaux penseurs, à de nouveaux bâtisseurs.
Ce n'est pas sans rappeler le Mouvement initié par les fondateurs du MAT. Le génie de Gaudi nous parle bien là de création et ce qui se construit aujourd'hui avec la Sagrada Familia en est une belle illustration. La plus subtile des créations ne serait-elle pas cette forme de transmission: poser les premières pierres d'un édifice ou d'un Mouvement, pour que d'autres le poursuivent et tout en le poursuivant, le transforment?
Le Mouvement est lancé, la création est en marche... et dans sa réalisation même, elle nous survit déjà...
Anne Laure LETONDOZ