

LA GUERRE DU FEU
La période estivale nous appelle à sortir de nos demeures. En pleine nature nous renouons avec les gestes ancestraux que nous transmettons alors à nos progénitures comme le secret de forces intuitives presque oubliée.
Le feu de camp y prend une place prépondérante, il est l'espace convivial par excellence autour duquel on aime conter, chanter, danser et rêver. C'est autour du feu qui permettait de cuire les viandes que se sont rassemblés les premiers hommes partageant leurs repas. Le feu est devenu l'élément emblématique des rituels de passage et de la transmission du patrimoine immatériel. Il rassemble et socialise l'humain dans une culture commune.
Aujourd'hui, « pour notre sécurité », à cause des nuisances possibles causées au voisinage et des risques d’incendie, un nombre croissant de restrictions, concernant la possibilité de faire usage du feu, voient le jour : les feux de cheminée en Île de France ont manqué être hors la loi cette année, le brûlage des déchets verts à l'aire libre ainsi que les feux de camp sont sujet à des réglementations préfectorales spécifiques.
Ce serait pour notre bien, ou pour le bien commun, que l'élément feu risquera peu a peu d'être exclus de notre pouvoir d'utilisation. Plutôt que d'apprendre à le maîtriser en Hommes responsables et soucieux des biens de chacun, nous serons petit à petit réduits à une position d'enfants irresponsables.
Mais, quelles ont pu être nos premières expériences du feu ? N'était-ce pas des moments où nous échappions au regard parental, avec quelques allumettes dans la poche, pour tenter de nous égaler aux maîtres du feu et accéder ainsi à la connaissance ? La conquête du feu parle d'insoumission. Dans la mythologie, le feu, privilège des dieux est dérobé par Prométhée pour être donné aux hommes, et si Lucifer vaincu a été jeté dans les ténèbres, ce Porteur de lumière y fait briller le feu de la forge souterraine où réside Tubal Caïn, ancêtre des forgerons.
Retirer à l'Homme la maîtrise du feu, ne serait qu'un pas, parmi d'autres, de plonger l'homme dans l'obscurantisme et d'infantiliser le citoyen. Pourtant, lorsque se sera franchement creusé le fossé entre ces deux mondes, d'un côté celui des paters-décideurs, qui tirent profit des loisqu'ils instituent, et de l'autre celui des prolétaires, comme s'était plu à les nommer l'auteur de 1984, il sera possible que ces derniers, acculés de toute part, s'enflamment d'un désir de révolte. Alors peut-être chercheront-ils l'autorité d'un fabricant de boucliers et de glaives pour le mettre à la tête de leur insurrection.
Dès lors nous pouvons nous poser la question : "qui joue donc en ce jour avec le feu?"
Il en va de notre nécessité d’accéder à l'âme, symbolisée en tout temps par une flamme.
Rosario Orenes-Moulin