



LA MALADIE PSYCHIQUE, UNE SPIRALE POUR LES FAMILLES
J’anime depuis plusieurs années un groupe de parole pour l’Unafam. Ce groupe est constitué de familles ayant un proche souffrant d’une maladie psychique du type psychose. Parfois, les réunions s’articulent autour de trois ou quatre personnes. D’autres fois, nous sommes une quinzaine.
M’étant présentée comme art-thérapeute et psychopraticienne, je me permets de proposer des outils art-thérapeutiques. De ce fait, c’est aujourd’hui un peu plus qu’un groupe de parole car une pratique art-thérapeutique est offerte. Certains participants se réjouissent de voir se déposer sur la table, crayons de couleurs, pastels, sable et coquillage, crayons de papier, petits cailloux… D’autres sont moins ouverts à une pratique expressive art-thérapeutique, mais bon gré, mal gré, ils y participent toujours avec le sourire. Et je les en remercie chaleureusement, car cet effort est toujours la source de réunions riches et tous les participants m’apprennent beaucoup sur les maladies psychiques et ses dégâts collatéraux. En effet, les participants donnent en témoignage, la souffrance de leur proche malade mais également la leur. Si les maladies psychiques sont méconnues, elles ne sont pas rares. Pourtant ON n’en parle pas. Aussi, le regard de la société sur des personnes qui n’arrivent pas à tenir un emploi, qui se désocialisent petit à petit, s’enfermant dans leur chambre enfumée par le tabac, se connectant à internet jours et nuits, avec le rythme décalé des repas, du sommeil, dépensant tous leur argent sans compter et dans ce système de surconsommation se retrouvant criblés de dettes, ce regard est jugeant, malveillant.
Ces personnes atteintes de maladies psychiques n’ont pas de constance, sauf peut-être dans l’inconstance. Elles ont besoin de leur parents, frère, sœur toutes leur vie, se montrant adorable parfois ou insultant, harcelant, menaçant, voir violent. Je pense à cette mère qui n’osait sortir de chez elle car son fils l’avait menacé de mort, à ces autres parents qui ne peuvent plus venir au groupe de parole car leur fille est revenue vivre chez eux, à cette maman qui accepte tous les coups que son fils lui porte se disant qu’il n’a qu’elle… C’est un fait, ces malades font peur.
Nombreux témoignages, si ce n’est pas tous, parlent de leurs amis qui disent et « ton gamin(e), que fait-il (elle) maintenant ? » Après avoir appris que les leurs poursuivaient de brillantes études ou s’étaient installés à leur compte, il est difficile pour ces parents de personnes malades psychiques de dire « Oh il ne fait rien, il n’arrive pas à tenir un emploi… ». La gêne commence ici, notamment devant la réponse violente qui suit du genre « tu n’as qu’à lui mettre quelques coup de pied au derrière et il se bougera ! ». Devant une telle incompréhension, envahis de colère, d’injustice et de désarroi qui submerge en secret les parents d’une personne malade psychique, nous comprendrons aisément que malheureusement, eux aussi, entrainés par la maladie de leur enfant, s’isolent à leur tour, n’ayant plus goût à ses apéritifs entre « amis ».
Ces premières gênes se colorent alors en culpabilité. « Qu’est-ce que j’ai mal fait, se dit cette mère ? » « Je n’aurai pas dû lui mettre de fessées, se dit ce père ? » « Je n’ai pas su le protéger ». « Déjà petit nous aurions dû voir que quelque chose n’allait pas et là nous aurions pu agir pour le soigner », « Je n’ai pas voulu entendre les avertissements des enseignants, il était si mignon, si sensible ». « J’ai dû être une mauvaise mère, je n’ai pas su ». « J’ai été tellement violent avec lui quand il ne voulait pas travailler alors qu’il n’y pouvait rien »...
Voilà les méfaits d’une non médiatisation sur les maladies psychiques. Car il faut bien du temps, des années, des questionnements et des hontes, des rencontres avec des médecins, jusqu’à enfin rencontrer le psy qui va suggérer la maladie psychique.
Même la prise en charge laisse les parents dans l’ignorance. Car souvent, les personnes malades psychiques ont atteint leur majorité et une psychothérapie est scellée par la confidentialité. Et cet enfant là, qui n’en est pas un mais qui le reste tout de même, majeure, pas encore sous tutelle ou curatelle, qui ne peux s’assumer et qui est dans des passages à l’acte extrêmes n’a pour seule aide que l’amour de ses parents, parents qui n’ont aucun diagnostic et qui pensent encore que tout est de leur faute. Certains n’ont d’autres moyens que de mettre leur enfant à la rue, suite à leur solitude et impuissance devant ce qu’ils ignorent encore être une maladie.
Certains médecins pourtant osent déroger à la loi de confidentialité et nomme des mots tels que psychose, schizophrénie, bipolarité. Parfois des parents ont accès à un dossier et prennent connaissance de ces mêmes mots. C’est souvent à partir de ce moment que les choses peuvent enfin évoluer. L’ennemi n’est plus leur enfant, c’est la maladie. Alors les parents peuvent se renseigner sur les maladies psychotiques, sont enfin éclairés sur le comportement de leur enfant, deviennent tolérant et compréhensif quant à l’incapacité de travailler, prennent des contacts, s’initient aux différentes prises en charge, et voient leur enfant enfin entrer dans une période de stabilisation grâce à une médication.
Ce diagnostic est donc essentiel pour eux. Plus encore, il leur permet de ne plus être seul, et de s’écarter de cette lourde culpabilité.
Connaitre le diagnostic, c’est également pouvoir commencer à élaborer le deuil de l’enfant rêvé, celui qui avait des dons artistiques immenses dont on admirait les œuvres en rêvant à ses expositions futures, celui dont le QI était exceptionnel et que l’on imaginait faisant une grande carrière…
La vie de ces parents ne sera jamais ordinaire. Même avec une prise en charge psychiatrique, difficile de partir en voyage. Faire le deuil de l’enfant rêvé, c’est également faire le deuil souvent de petits-enfants. Etre parent d’enfant malade psychique, c’est aussi vivre, dans la peur, puis dans la terreur de passage à l’acte. Je pense à ces parents dont le fils a effectué plusieurs dizaines de tentatives de suicide. N’allez pas penser qu’il s’agit là d’appels au secours comme ON dit. Non, lorsque l’on se jette sous un train, qu’on se défenestre, qu’on se plante un coup de couteau, ce n’est pas un appel au secours. Cela nous laisse entrevoir de la souffrance du dedans comme en témoigne le père qui a un jour ouvert le cahier des écrits de son fils et qui n’a pu aller au bout tant la description de la souffrance était intolérable.
Dans ces réunions, j’écoute tous ces témoignages s’offrir. Les histoires résonnent les unes les autres. Les échangent peuvent être des adresses, des avis sur tel ou tel psychiatre, des souffrances partagées. Mais également des retours plus animés, émotifs. Certains ont déjà beaucoup cheminés. D’autres viennent d’arriver et ne connaissent pas encore la maladie. Il faut tout apprendre, ne pas tomber dans les pièges. Ne pas juger la personne malade mais bien la maladie, apprendre à différencier ce couple là, cette mésalliance qu’est l’Homme et la maladie psychique.
Mylène BERGER