



LA MONTAGNE AUX SEINS LAITEUX
Souvent, je randonne l’été, des images viennent.
Je marche, c’est dur, je sens monter l’énergie.
Le sac sur le dos, je trace mon chemin, je me perds de temps en temps.
Je vois des couleurs, des odeurs, des formes.
La montagne montre ses pans poilus d’herbes folles, jonchés de cailloux noirs, les pores de sa peau sont parsemés de sapins parfumés, son corps offre des délices, et je reçois sans retenue ses élans excessifs son air hautain, son imposante nudité est presque obscène. Je suis à l’intérieur de son immensité verte salée.
Ses collines, ses rochers sont d’énormes cuisses musclées. La montagne allongée ou debout aspire à l’absolu, elle respire la beauté, elle niche entre ses côtes des oiseaux et autres petits animaux, elle déverse de la sève riche verte, elle se reflète dans les miroirs des lacs.
Je grimpe accompagnée d’un curieux sentiment mélangé, la douceur maternelle me berce, la puissance paternelle me fortifie.
Je marche, je suis la main qui caresse, je trouve la vie.
Je monte le sac à dos d’âme, la montagne se transforme, je suis transportée, je suis mer, nuages, vagues, horizon vert.
Ourlé de mousse printemps, le col marque son territoire étroit, je le laisse entortillé à lui-même.
Je suis une petite voiture, la voie est libre, seule reliée au monde.
Une gueule de dinosaures oubliée, surgit fermement de terre, ventrue, elle exhibe sa tête imposante du passé.
Dans la forêt la végétation est ordonnée, sauvage, ancestrale, chaque élément a sa place, les rochers les fougères murmurent leurs vies, les pierres sculptures géantes sont de grosses tortues ils sentent bon le sable chaud la poussière âcre, la tendresse coule à mes pieds.
Je passe sous une immense souche, cathédrale de la nature bâtie de mystères sacrés.
J’admire ces merveilles, je sens une bonne solitude, j’appartiens à la forêt, je suis un rocher habillé, je suis en mouvance entre les branchages, les feuillages, je déambule dans la vie.
Le corps de la montagne suscite un érotisme troublant.
Françoise LEMERCIER