








LAPAROLE DU MONDE
Nous voici enfin à Bandiagara, ville ocre, porte d'entrée du pays dogon. Nous étions attendus, reçus en invités. C'est le tourisme solidaire.
Khadidja enceinte, prépare sur les braises de bois le zamé, succulent riz au poisson. Les enfants jouent avec un bébé. Le grand jeune homme nous raconte son lycée. Nous parlons d'excision. Une étrange ambiance paisible nous ancre dans l'échange. L'aisance et la précision dans la parole de chacun m'interpellent.
"L'échange est le fondement même de la société. A l'origine, il y a deux personnes qui parlent ensemble... Cette parole est le lien sociale" écrit Geneviève Calame Griaule* à propos du mythe dogon.
A l'aube nous partons avec nos guides pour une marche de plusieurs jours, unique moyen de déplacement pour atteindre les villages à flan de falaises.
Des champs d'oignons à perte de vue, damiers vert tendre et terre ocre ou marron, des arbres à karité, des tamarins. Hommes et femmes y travaillent.
Partout des pancartes, attestent du travail des ONG occidentales, écoles, dispensaires, signature d'un autre monde. Pas d'autres publicités. Aucun poteau ne pollue le paysage. Pur repos.
Nous traversons le plateau, une succession de paysages de rochers de toutes formes, sculptés par le vent, de petites vallées où la moindre parcelle est cultivée, des jardins. Nous marchons entre les figuiers, les manguiers, les kapokiers emmêlés avec toutes sortes d'arbres fleuries, longeons des courts d'eau tapissés de nénuphars. Aridité de roches nues et richesse de végétations se côtoient. Une année féconde.
L'eau est rare. Elle est "la force vitale de la terre".
Nous visitons les villages perchés à flan de falaise. Les cases sont en pierre et banco, celle du forgeron, le grenier des femmes et le grenier des hommes visible au toit en forme de chapeau, la case des femmes menstruées, au centre du village, la toguna case à palabre, au toit couvert de branches de mil. Les portes, la moindre fenêtre, la moindre poutre, les ustensiles, les outils sont sculptés ou peints. Ils portent leur histoire et leur vision du monde, symboles et protection. Mondes visible et invisible s'intègrent dans le quotidien. Le vieux chasseur nous montre ses trophées et ses fusils d'un autre âge. L'église et la mosquée se sont frayées une place dans le village pavé de lieux sacrés du culte animiste. Cohabitation à trois. La culture prime sur la religion cartous partagent et transmettent la même histoire, les mêmes pratiques ancestrales. Ils ont le même sens du monde qui dépasse la religion.
Dourou, village de l'indigo. Les femmes préparent l'indigo pour teindre les tissus de coton filées par elles et tissés par les hommes. Le tissage est fonction symbolique primordiale dans la mythologie dogon.
Puis la plaine sèche de Sono, riche d'arbres et de poussière s'étend jusqu'au désert. Les enfants s'accrochent à nous. Ils nous accompagnent et demandent inlassablement stylo, cadeau, bonbons. Les adultes les interpellent. Ils cessent puis reviennent. Nous donnons des noix de cola à chaque vieux ou vieille que nous rencontrons. Les paroles de remerciements sont des mots de bénédiction.
La culture est un facteur d'unité et d'harmonie sociale.
La culture dogon m'apparaît comme est une œuvre d'art. Tout est lien, tout est sens. Un monde en images, en symboles, un univers structuré contenant les ingrédients même de sa structure. Toutes les dimensions de l'être et de l'humanité y figurent. Nous sommes saisis.
"La parole" a une place fondamentale dans la mythologie de la création du monde, le corps humain en est le centre, le tissage la fonction. Le corps est symbole et réalité : le village est construit selon un corps humain.
L'art est moyen de partage et de transmission de la culture.
Chaque étape de l'histoire et de la cosmogonie des dogons est inscrite dans les objets sculptés du quotidien, dans les objets de culte et dans leur fonction. L'abstrait est exprimé par le figuratif. Cet art se retrouve dans la cuisine, dans la parole poétique, dans la coiffure des femmes, dans le tissage.
La transmission du mythe fondateur et de l'histoire des dogons, l'initiation à la vie sociale passe par l'imaginaire, par l'art, par la création. Elle est d'abord transmise par la mère dans les contes, "et comme tous petits ils ont appris les premiers contes de leurs mères, ils ont d'une certaine façon tété les contes avec son lait"*. Le conte et l'esthétique du conte.
Des semaines après ce voyage, je reste marquée par les paysages de toute beauté et d'une intensité saisissante, par une fraternité qui me lie à ceux que j'ai rencontrés et par la subtilité de la culture vécue et présente partout au quotidien. Le monde dogon est ainsi résumée par Geneviève Calame Griaule* :
"Pour les dogons, comme pour la plupart des sociétés traditionnelles, le monde n'est pas un chaos, il a un sens et ce sens a été déposé par le dieu créateur dans tous les éléments de sa création; en fait, c'est sa "parole" qu'il y a mise."
La parole du monde.
*Geneviève Calame- Griaule et Praline Gay - Para - La Parole du Monde - Ed Mercure de France - 2002
Yamina Nouri