


Dans ce texte, nous percevrons nettement la détresse d'une mère devant un enfant pour qui même répondre à une simple question est difficile. Les conversations sont donc faites de "Mmh !". Les parent ont besoin de réponses et ne savent pas toujours vers qui se tourner. Ils sont confrontés aux regards des autres parents qui eux, ont toutes les réponses : "Mets-le au boulot !", "Confisque-lui son ordinateur !" "Mets-lui quelques coups de pieds au C... !" ...
Détresse, colère, impuissance, désespoir, voilà ce qui habite chaque parent d'enfant malade psychique.
Mylène Berger
Octobre 2013 - Texte de Madame MB
Oreilles sensibles s’abstenir !
Comme tous les parents on met tous nos espoirs dans nos enfants. Hélas quand ils ne vont pas bien, notre vie est bouleversée. On a encore espoir alors on s’en occupe encore plus. On veut qu’ils travaillent, qu’ils sachent s’organiser dans la vie, qu’ils n’hésitent pas à demander conseil, qu’ils s’imposent dans certaines situations… Nos enfants se taisent, ils ont honte de ce qu’ils deviennent et ils souffrent.
Je ne savais pas quoi faire pour le faire parler, pour qu’il demande de l’aide, pour qu’il s’impose, pour qu’il prenne son indépendance. Il est tellement vulnérable, comment imaginer sereinement qu’un soir d’ivresse il échange sa guitare, le seul objet qui le réconforte vraiment, il l’échange contre quoi ? Aucune idée, il ne s’en souvient certainement pas.
Alors pour éviter les gros dérapages, les dépenses incontrôlées, j’ai voulu qu’il soit accompagné par des personnes compétentes pour s’occuper de lui. Après les terribles déceptions apportées par le corps enseignant, j’ai pensé qu’un médecin pourrait le prendre en considération. Je sais maintenant que s’il ne va pas voir de médecin, le médecin ne viendra pas à lui. Alors j’ai cherché dans une autre direction pour qu’on s’occupe de lui. J’ai donc fait des démarches pour qu’on le mette sous curatelle. J’ai pensé qu’ainsi il aurait en face de lui un interlocuteur, quelqu’un qui lui expliquerait, le surveillerait, qui contrôlerait ses addictions que ce soit à l’alcool ou aux jeux vidéos. J’apprends que si le médecin ne lui a pas reconnu de maladie mentale, il ne sera pas mis sous curatelle. Effectivement on ne peut pas dire qu’il est malade, sa souffrance ne se mesure pas par une analyse de sang ou une radio, elle ne provoque pas de fièvre ou même de la toux. C’est la maladie du silence et de l’évitement. S’il n’est pas malade, on ne peut pas l’aider. Alors qu’est-ce qui l’empêche de dire, qu’est-ce qui l’empêche de demander conseil, qu’est-ce qui l’empêche de nous parler, de nous rencontrer, de ranger ses affaires, de sortir le jour, de dormir la nuit, qu’est-ce qui l’empêche de partir vivre ailleurs que chez nous ?
Bien, j’entends les détracteurs me reprocher de vouloir qu’il travaille à tout prix, et me demander pourquoi je me pose toutes ces questions. Qui ne veut pas que son enfant travaille ? Qui ne se pose pas de questions ? Vous ? Ah, il vous arrive d’avoir besoin d’une réponse. Lui n’a jamais de réponse. Il ne peut pas dire, il ne peut pas demander, il ne veut pas qu’on lui parle, il prend toute parole comme une agression. Il refuse tellement la société qu’il finit par ne plus rien savoir. Et un jour, il nous lance à propos de quelque chose d’évident qu’il n’a pas su : « On ne me dit jamais rien. »
Arriver à surmonter une difficulté rend plus fort. Ne pas arriver à surmonter une difficulté rend-il plus faible ?
Pour compenser la perte de contact avec lui, je parle à son chat. Je ne l’ai pas vu de la matinée, il est lui aussi, enfermé dans sa chambre. Mais vers midi, le chat arrive pour avoir ses croquettes. Je lui parle comme si je parlais à mon fils, bien sûr sur le moment je ne m’en rends pas compte, c’est bien plus tard quand je réfléchis à ce que je vais coucher sur ce papier que l’évidence me saute à la tête. Je n’ai rien inventé, un grand auteur l’a fait avant moi. Je m’entends dire au chat : « Alors Garfilou, c’est maintenant que tu arrives, tu as faim, c’est la seule raison pour laquelle je te vois ! » Quand son maître a disparu la veille au soir, et qu’il n’est pas rentré le matin, Garfield ne tient plus en place, il demande à ce qu’on lui ouvre toutes les portes, il est autant inquiet que nous le sommes et nous le rassurons. « Tu vois, nous sommes là pour toi, nous ne t’abandonnons pas. »
Je me souviens très peu, mais quand même, nous devions avoir 13 ou 14 ans, et avec les copines à la cantine, nous jouions à savoir combien on aurait d’enfants en remuant la salade au nombre de feuilles tombées à côté du saladier. Nous riions, mais il était naturel que nous voulions de beaux enfants. J’aimais m’occuper des enfants, et je trouve encore cela agréable aujourd’hui. Alors me suis-je trop ou pas assez occupée des miens ? J’en arrive à ne pas comprendre comment réagissent les jeunes, ils sont capables de faire plein de choses, de prendre des décisions, d’avoir de l’ambition. Comment en arrivent-ils à réussir quand le mien ne me fait que des reproches ?
Voici un petit poème dédié à moi-même, la mère :
Elle ne demande pas qu’on lui dise « merci »
Elle sait que cet esprit tordu ne peut rien lui dire
Elle sait que le regard de certains proches est malveillant
Elle n’attend qu’un regard bienveillant
Elle n’attend qu’un beau regard
Cet esprit tordu l’empêche de regarder
J’ai grandement envie de divaguer sur le regard. Nous l’avons vu pour l’année de l’autisme, certains ont dit : « cela a changé le regard sur l’autisme ». Il en est de même pour toutes les actions envers des handicaps. Cela devient une mode, elle passera, mais il restera tout de même des personnes qui vont garder ce regard amical qui suffit à humaniser le regard vague que donne la maladie, et rendre le regard souriant à la personne qui porte cette maladie ainsi qu’à son entourage.
regard, regard, regard… regarde regarde ? regarde ! - Regarde (sur un ton de reproche) - Regarde quoi ? Je ne vois rien. Ni la saleté, ni la propreté, mais les reproches, oui je les vois.
Pour relativiser les choses, il faut tout de même reconnaître que, moi qui ai connu des regards désapprobateurs, culpabilisateurs de médecins (une vingtaine au moins), d’enseignants, de parents ; le regard de personnes, infirmiers, amis a changé. Dans le regard, on attend de voir la compréhension, l’écoute, le partage des sentiments.
Je me souviens avoir entendu : « Il a un petit vélo dans la tête ! » D’où vient cette expression ? Du même style que celle-ci : « Qu’est-ce que t’as dans le ciboulot ? »
Comme un aveugle ne peut pas voir ; ce petit vélo dans la tête de notre petit malade l’empêcherait de « voir », il ne voit pas ce qu’il y a à faire. Ce serait pour cette raison qu’il ne lui est pas possible de faire ce que font les autres, ceux qui n’ont pas de petit vélo ! Mais le petit vélo ne l’empêcherait pas d’être créatif, au contraire cela lui donnerait les ailes de la créativité, il fait de la musique, de la peinture…
Je pense à tout ça pendant que j’épluche les légumes pour la soupe, pendant que je fais le repassage, pendant que je ne dors pas la nuit ; je fais des projets, j’ai fait des projets, je referai des projets.
Vois-tu que je ne suis pas une mauvaise mère ? Je travaille comme une mère normale. Je pense à l’avenir de mes enfants comme toi qui es bien considérée parce que tu peux dire que tes enfants ont réussi leurs études.
N’a-t-on jamais de moments joyeux ? Mais si ! Bien sûr nous n’éclatons pas de joie, mais nous recevons plein de petites joies. Nous en avons souvent, et même plus que les parents normaux, parce que nous sommes à l’affut de la moindre réaction qui nous fera continuer d’espérer. Nous avons des vraies joies, pas parce que nous avons réussi un trou au golf, mais parce que nous avons tant et tant insisté que le papier demandé arrive, parce que le OUI en lettres majuscules est griffonné sur le mot laissé sur un coin de meuble. C’est la réponse à une question directe, écrite puisqu’on n’a plus le droit à l’oral. Elle est une immense joie, c’est un contact, une délivrance qui va vite retomber mais dont on se souviendra pour pouvoir tenir le coup.
Pourquoi est-ce que nous recherchons un peu de gaieté ? Parce qu’elle n’arrive pas comme ça. Parce que cela n’existe pas. Parce que c’est mal vu un parent déprimé pour cause d’enfant déprimé. Ah ça non, le médecin ne l’admet pas, vous vous rendez compte dans quel état vous allez le mettre ? Rentrez chez vous, ce ne sont que des migraines de mère de famille !
Tout au plus, nous souhaite-t-on « Bon courage !». Merci, mais voyez-vous j’en ai du courage, j’ai même une bonne dose de courage et de patience, certainement plus que la moyenne. C’est aussi ce qui me maintient le courage, plus que l’espoir en tout cas. Aucun intérêt à garder espoir, il faut être réaliste.
La voisine qui, croisée dans l’ascenseur, nous lance : « Il est malade votre fils, il faut le faire soigner. » nous a laissé sans voix. La prochaine fois nous lui demanderons son témoignage écrit pour argumenter auprès des médecins, du juge des tutelles, d’une maladie mentale non reconnue…
Quand ils sont petits, c’est aux parents de se rendre compte de la maladie de leur enfant, s’il y a besoin d’aide, s’il y a des souffrances psychiques, c’est aux parents de faire les démarches auprès de la MDPH. Pour tous, c’est le parcours du combattant, la découverte de nombreuses difficultés et l’entrée chaque fois plus brutale dans la réalité de la maladie si difficile à admettre. A ses 18 ans ce n’est plus un enfant, c’est tout de suite un adulte qui doit assurer seul. S’il refuse de se sentir malade, la société, l’enfance, les parents n’ont plus de pouvoir sur lui. On attend la catastrophe. La voisine pourra continuer à critiquer et faire des commérages. C’est la ruée vers une désocialisation, un enfermement, la fuite de la volonté, la disparition des ambitions…
Voilà, j’ai des enfants avec des gènes tordus et ils vivent avec !