



LA PASSE
La loi sur la prostitution qui vient d'être promulguée demeure insatisfaisante car elle ne tient pas compte des "dessous" de l'âme humaine.
Dans "Survivre" nous abordions ces zones troubles et troublantes. Nous écrivions notamment :
<< Pour la prostitution on tentera de l'expliquer par des causes économiques qui poussent les femmes à se vendre en tant qu'objet. Toujours est-il qu'il se trouve des hommes pour les acheter. Là encore on parlera de misère sexuelle qui pousse les déracinés à satisfaire de la sorte leurs pulsions. Peut-être, mais il est difficile de ranger dans cette catégorie des hommes fortunés et d'un commerce agréable qui font cependant appel à de telles pratiques. Qu'à cela ne tienne, ils seront étiquetés "dérangés sexuels, pervers et malades mentaux". Des malades mentaux par ailleurs en pleine possession de leurs capacités intellectuelles.
Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut, dans Le Nouveau désordre amoureux, nous ouvrent d'intéressantes perspectives. Je les cite: "L'attrait singulier qu'exerce la putain sur le client vient de ce qu'il la paie pour jouir comme il l'enttend, et nous savons qu'étant un homme il l'entend généralement mal et vite". Ils ajoutent: "... nécessite pour s'accomplir la complète froideur du corps marchandé. La prostitution annule la femme comme corps sexué...". En effet, à un amant, la femme demande de pouvoir se retenir pour qu'elle puisse atteindre son orgasme. Mission souvent impossible qui renvoie l'homme à son impuissance. Toute autre est la démarche de la prostituée qui dit à l'homme "Dépêche-toi", et qui prend toutes précautions pour qu'il n'y ait pas de risque de fécondation. Autrement-dit, dans cet acte monnayé, l'homme ne court pas le risque d'être tué par une progéniture, n'a pas à faire la preuve de sa puissance sexuelle, et par l'achat se montre dans le pouvoir de la possession. La passe est "un contrat contre la Terreur que représentent pour l'homme, les désirs de la femme" (Les citations sont tirées du chapitre Prostitution 1: un équilibre par soustraction).
Sur quoi une telle terreur se fonde? La chanson populaire a véhiculé beaucoup d'âneries sur la relation amoureuse, telle que "Prends-moi, beau légionnaire"... Anatomiquement nous savons que ce n'est pas l'homme qui prend la femme, c'est tout le contraire, la musculature vaginale est telle que ce sont les muscles ronds qui étreignent le pénis et l'invite à éjaculer pour recevoir à profusion les spermatozoïdes et n'en élire qu'un seul, entraînant la mort de tous les autres. Ainsi, lorsque pour l'homme l'intromission est vécue comme acte de don d'amour, cela va se traduire par une double perte: celle de son érection et celle de sa semence. Le plaisir qu'il ressent alors est bien comparable à une petite mort. Il est pour l'homme don de sa propre existence, perte narcissique, et disparition de sa puissance physique, perte génitale. Un enjeu terrifiant qui révèle à l'homme la toute-puissance de la femme. Pour un mâle se donner ainsi à une femelle c'est accepter purement et simplement de disparaître. Alors que nous avons vu que dans la prostitution chacun trouve son compte sans risques. Le moteur n'est plus le désir mais l'assouvissement rapide pour l'homme au moyen d'une femme réduite à sa plus simple expression d'objet sexuel, et pour la femme la vérification de son pouvoir de séduction et la confirmation de sa toute-puissance sur l'homme, objet de mépris réduit à sa fonction de pompe à fric. Car à ce moment-là c'est bien elle qui possède le phallus et qui s'enrichit. Un jeu de vie et de mort, poussé à sa dimension tragique, par introduction du proxénète. >> (Survivre, Mythes et transgressions en art-thérapie - H. Saigre - Ed. L'Harmattan - p162-163)
Le législateur, s'il ne tient pas compte de la réalité des mouvements de notre psyché, pose des lois lourdes d'une rigidité morale, où l'être ne peut trouver sa mesure.
Entendons-nous : là où il conviendrait de légiférer, c'est par rapport à tout ce qui touche l'économie de marché, qui, quel que soit le secteur d'activité, objetise l'humain, et fait en l'occurrence du corps une marchandise. L'inacceptable dans la prostitution c'est l'intermédiaire, ici il s'appelle souteneur ou proxénète et fait mainmise sur le corps d'autrui. Mais combien il est évident que des lois qui auraient une telle préoccupation porteraient en germe la condamnation de tout le système capitaliste.
Henri Saigre.