


OMBRES ET LUMIERES DANS LA QUESTION DU GENRE
Ce sont les sciences sociales qui associent le mot « genre » au sexe pour distinguer ce qui, dans l’identité masculine ou féminine, ressortit à des comportements liés à l’histoire ou à la culture et non à la biologie. On y trouve d'intéressantes observations sociologiques qui stimulent la pensée, mêlées au vieux débat entre l'inné et l'acquis, la nature et la culture.
Quelques penseurs utilisent ces études pour promouvoir une idéologie. En particulier, la féministe américaine Judith Buttler déclare vouloir introduire le trouble dans le genre pour faire évoluer la société. Pour elle le genre n'est pas le reflet du sexe mais une fonction théâtrale visant à assurer une domination masculine. L’identité féminine ou masculine dépendrait donc d’un rapport de pouvoir dans la société. A sa suite, les tenants de la « théorie du genre »veulent introduire l'idée d'égalité identitaire entre les hommes et les femmes, détacher complètement le sexe biologique de son rôle social, et permettre la liberté des comportements sexuels intimes jusqu'à un éventuel libre choix de son genre, au risque assumé d'un bouleversement des conceptions qui structuraient les rapports sociaux depuis des siècles. En ce sens, on peut considérer l'idéologie du genre comme une tentative de révolution culturelle.
Elle s'inspire essentiellement de philosophes comme Foucault ou Derrida qu'on peut qualifier de philosophes de la déconstruction. Le but reste bien de déconstruire les valeurs qui ont structuré la société pendant des siècles. C'est-à-dire de préparer une sorte de chaos culturel d'où pourrait émerger, peut-être, une société plus égalitaire et plus libre par l'abolition de la différence d'identité psychique et sociale entre les sexes. Cela peut rejoindre l'hypothèse du chaos comme préalable à l'imagination créatrice développée par Henri Saigre. Cependant l'idée de chaos telle qu'on peut l'utiliser en art-thérapie paraît une condition nécessaire à la créativité mais pas suffisante, et se distingue de l'idéologie de la table rase ou du déni des processus de différenciation inscrits dans les lois de la vie.
Pour entrer dans une véritable créativité sociale, peut-être conviendrait-il de remplacer « La nature ou la culture » par « La nature et la culture », créant un troisième terme qui ferait passer du psychologique ou du sociologique à l'ontologique. L'être n'est pas féminin ou masculin par ordre naturel ni par libre choix car il se situe au-delà des genres. C'est en lui que les conflits d'identité et de pouvoir trouvent leur meilleure solution. Saint Paul, pourtant très marqué par les idées les plus machistes de son temps, en a l'intuition fulgurante quand il écrit « il n'y a plus ni homme ni femme car vous êtes un en Christ. » Tous ceux qui soutiennent ou s’opposent aux avancées de l'idéologie du genre pourraient s'en inspirer, évitant ainsi de se laisser récupérer par des officines politiciennes. Pour le dire autrement, c'est bien en empruntant le chemin qui va de l'existence à l'être que la société pourra se renouveler et les conflits de genre se résoudre.
Yves Lefebvre