




PENSEES DE PRINTEMPS
Il y a de nombreuses années, à l’aube de ma vie d’adulte, je participai à un groupe hebdomadaire de rebirth. Le travail se faisait en binôme, entre thérapisants, tour à tour accompagnant et accompagné. Un soir, accompagnant une jeune femme, j’assistai pour la première fois à une abréaction émotionnelle ramenant un souvenir d’enfance refoulé extrêmement violent et douloureux. Et je vis le soin, la tendresse et la fermeté avec lesquels le thérapeute accueillit et guida ce travail. Les semaines et les mois qui suivirent, je croisai souvent cette femme et chaque fois elle me semblait plus belle, plus femme, plus lumineuse, peut-être simplement plus là. Et chaque fois je me disais « Tous les jours de ma vie je veux voir s’ouvrir les fleurs ».
Cette année les tulipes se sont ouvertes avec 2 semaines d’avance. C’est énorme. Un jour il n’y avait rien, ou juste un vague bourgeon qui se confondait avec l’herbe. Nous avions bien senti un frémissement dans l’air, un peu plus de chaleur peut-être. Et puis un lièvre avait traversé le chemin juste devant nous. Surpris par notre présence, il avait détalé.
Et puis le lendemain tout a éclaté. Ce sont les rouges qui se sont ouvertes d’abord. Avant midi. En début d’après-midi les oranges et les jaunes ont sortis leurs couleurs. Le soir, au couchant, avant de se refermer pour la nuit les trois quart d’entre elles avaient éclos. Les autres, plus paresseuses, plus craintives ou peut-être plus perfectionnistes ont attendus le lendemain.
Une semaine plus tard, un coup de vent et à nouveau plus rien. La tige nue, si elle n’est pas coupée, peut survivre tout l’été mais de fleurs, point. Pour notre regard, c’est fini. Tandis qu’enfoui dans les profondeurs de la terre se prépare déjà le prochain jaillissement.
La semaine dernière, après 30 minutes de séance silencieuse et bientôt 7 ans de travail thérapeutique, un homme me regarde et dit : « ça ne se voit pas, mais là, j’ai la joie qui éclate dans mon cœur ». Et il pose la main ouverte sur sa poitrine. Et sourit.
Les fleurs du marronnier, en revanche, sont plus discrètes, certes mais beaucoup plus tenaces. Pendant plusieurs semaines, elles se relaient sur l’arbre. S’ouvrant au gré des envies et se transformant progressivement en grappes odorantes. Mai arrive et elles ont quelques mois pour fabriquer leur coque et leurs piquants.
Je suis toujours étonnée de constater qu’avec le retour printanier du soleil, les ombres grandissent. La nature réagit à la lumière en créant de l’ombre. Sauf dans le désert peut-être parce que là, il n’y a pas d’eau pour éteindre le feu.
Dans l’ombre des inconscients, dans le silence des espaces thérapeutiques, thérapeute et thérapisant tissent, s’entendent, se transforment et tissent encore.
Un matin, ou peut-être un soir. Mais quand même c’est souvent le matin que ça se passe. Un matin, donc, éclatera, ou pas, cet élan vital, cette source qui cherche et trouvera, ou pas, sa destination.
Les vieux peupliers sont morts. Coupés dans leur ascension trop vertigineuse, abattus par le bucheron, écrasés sur le chemin, ils ont arrachés en tombant les branches d’un saule malheureusement placé. Il survivra. Ou pas. Nous aurons du bon feu dans la cheminée cet hiver. Place aux jeunes.
Et voici que s’annonce le temps des premières cueillettes.
Beau printemps à chacun et chacune.
Frédérique Astruc