




UN ITINERAIRE, UNE PRATIQUE D'ART-THERAPIE
Témoignage recueilli : Pascale Ribaud
Inscription de l’art-thérapie au sein d’un centre de post-cure pour patients alcooliques
Pascale est née dans l’hôtellerie, elle y fera diplôme et carrière avant de constater que l’accueil et la relation développés dans ce champ ne peuvent atteindre le niveau d’engagement auquel elle aspire.
C’est dans un premier temps dans le cadre familial qu’elle choisira de s’épanouir, en cessant toute activité professionnelle extérieure à la naissance d’un second enfant et ce, pendant dix ans.
Ensuite, son chemin de petits cailloux semés se compose de bénévolat : catéchisme, distribution de repas aux « Restos du cœur », coanimation dans sa commune d’un atelier théâtre pour les enfants. Cette dernière expérience sera porte d’entrée vers une pratique personnelle du théâtre : 4 ans en M.J.C, puis 4 ans dans le cadre de l’ atelier du théâtre de la ville à l’issue desquels quelques stagiaires dont Pascale décident de relancer « la compagnie des nébuleux » qui était en sommeil et de faire appel à un metteur en scène professionnel pour monter des spectacles.
Cette pratique perdure à ce jour et des spectacles de qualité sont produits et présentés dans les villes et villages environnants.
C’est à l’issue d’une psychanalyse conséquente que Pascale s’est orientée vers l’Art-Thérapie, ayant dans le passage du « nid vide » retrouvé une grande disponibilité et des envies de réalisations professionnelles différentes.
Pascale suit alors une formation sur deux ans et élabore un projet professionnel à L’IRFA d’Avignon. La 1ère année allie théorie : histoire de l’art, méthodologie de l’art-thérapie, psychologie, psychiatrie, philosophie, pharmacologie et pratique : participation à des ateliers d’art-thérapie avec supports différents : théâtre, musique, chant, peinture, argile, danse, écriture. Elle est validée par un examen écrit. La seconde année consiste en un stage en institution avec animation d’un atelier d’art-thérapie supervision collective et réalisation d’un mémoire d’une centaine de pages.
Ensuite Pascale crée (puisqu’il n’y a pas de poste d’art-thérapeute dans la structure) son stage d’application en proposant son savoir être/faire et son temps à l’équipe d’un Centre de Postcure alcoolique de la région.
C’est à l’issue de ce stage qu’elle sera intégrée à l’équipe en qualité de vacataire.
Le centre de postcure est proposé aux patients après une hospitalisation ( d’une durée de 10 jours à 3 semaines) où une cure de sevrage a eu lieu. Le sevrage physique étant très rapide, au postcure c’est le sevrage psychologique et l’intégration de l’abstinence qui constituent l’objectif.
La durée du séjour en postcure est de minimum 5 semaines (sans aucune sortie), maximum 6 mois. Il n’est pas possible d’enchainer plus de deux cures
Les patients y viennent majoritairement de leur plein gré, certains y arrivent sur décision de justice. Quelque soit le mode d’entrée, « le déclic peut se faire » et la dynamique de changement s’enclencher.
La prise en charge est globale, assurée par une équipe pluridisciplinaire dont les membres travaillent en étroite collaboration.(médecins, psychologues, assistantes sociales, éducateurs techniques spécialisés, moniteurs d’ateliers, moniteurs sportifs, art-thérapeutes ...)
Nous ne détaillerons pas ici toutes les modalités de prise en charge, très schématiquement nous pourrions dire qu’il est question de « restauration » : restauration de soi et de ses liens avec les autres, restauration de son corps et de ses potentiels mais aussi de ses capacités de communication : ouverture aux expériences d’expression, d’élaboration, d’échange. Pour ce faire les supports sont multiples : expériences de travail manuel , atelier d’éveil corporel avec un kinésithérapeute, sport avec un moniteur sportif, équithérapie, entretiens médicaux et psychologiques, groupes de paroles, débats à partir de films ou livres.
L’art-thérapie est une indication posée par les médecins, les psychologues . Elle est proposée à des patients qui, à l’issue des cinq semaines minimum de programme postcure ont décidé de poursuivre leur séjour et ont engagé une psychothérapie individuelle.
Ils ne peuvent participer aux ateliers d’art-thérapie que s’ils ont accepté cette proposition.
Pascale propose un atelier découverte avant de proposer un engagement pour un mois, renouvelable deux fois, avec un rythme de deux séances par semaine dans un groupe semi-ouvert puisque certains intègrent ou quittent le groupe à chaque fin de mois.
Le théâtre, comme l’art-thérapie font peur… « Est-ce parce qu’ils sont fous que cela leur est proposé ? »
Pascale rencontre chacun en individuel avant l’intégration à l’atelier découverte.
-« Qu’ est ce que l’art-thérapie ? »
-« Je ne peux pas vous expliquer, c’est quelque chose qui se vit, chacun le vit à sa manière. »
Les personnes qui arrivent alors en groupe ont tout à créer. Ils ont souvent perdu beaucoup du fait de leur pathologie : santé, logement, emploi, famille, liens amicaux et depuis peu ils ont lâché le produit.
L’approche du théâtre, Pascale l’introduit progressivement en passant du dessin à l’écriture puis à l’articulation des deux, de l’expression corporelle au jeu scénique…
En parallèle un monde s’ouvre de l’individu vers le collectif : mon texte ou mon dessin que je partage avec d’autres, mes textes puis ceux des auteurs que le groupe va pouvoir s’approprier où certains vont se reconnaitre, textes qui transfigureront l’expérience humaine désastreuse en création offerte.
Cela passe par s’ouvrir aux autres, trouver la juste distance avec eux pour sortir du circuit fusion/agressivité. Il est aussi question de mise en scène du texte, comment en percevoir et retransmettre toute la richesse, comment le présenter, se présenter au public (les autres patients et de l’équipe d’encadrement du post cure)et proposer ensuite un débat.
C’est tout l’art de l’art-thérapeute de soutenir le processus. Pascale évoque son plaisir à « dénicher » des textes qui toucheront le plus grand nombre en intégrant toutes les contraintes du cadre (temps limité, travail de groupe, narcissisme fragile de chacun…)
L’alcoolisme est une pathologie lourde qui touche les deux sexes, tous les âges et tous les milieux sociaux. La population concernée est de plus en plus composée d’individus jeunes et de femmes.
Pascale nous indique encore que certains savent qu’ils ne peuvent envisager l’abstinence, c’est déjà très important qu’ils puissent le dire.
En cas de rechute après le séjour en postcure, les statistiques montrent qu’une répétition de séjours dans la même structure n’est pas bénéfique( installation dans un certain « confort »). Le changement de structure est donc imposé après deux séjours dans l’établissement. Un tout autre projet dans un « ailleurs » reste alors à inventer. La question de la rechute est travaillée afin que la personne sache demander de l’aide le plus rapidement possible
En complément de cette activité en postcure, Pascale exerce aussi dans une structure qui développe des actions de théâtre interactif, informatif. Il s’agit là d’utiliser le théâtre pour susciter des débats, provoquer la réflexion (par exemple des scénettes concernant la confrontation à la maladie grave et la fin de vie), ou encore d’utiliser le théâtre pour faciliter l’estime de soi, la communication…Nous sommes là très proches de l’art-thérapie.
J’ai particulièrement aimé la modestie de Pascale et le dynamisme avec lequel elle évoquait sa pratique face à ces patients alcooliques dont la souffrance nous rend souvent très impuissants.
Merci à Pascale Ribaud.
Joëlle Cornelisse-Saigre
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